Bon vent au Commodore Bibi
et au Capitaine Leven
Seuls les plus âgés pourront se souvenir de Bibi, Bertrand Suchet, flamboyant Commodore de l’International Yacht Club de Pampelonne, qui a été le club organisateur de l’historique Nioulague dans les années 1980-1990, devenu depuis les Voiles de Saint-Tropez.
Trajectoire fulgurante pour le jeune barman repéré à Saint-Tropez pour son bouillonnement créatif, devenu en quelques années un publicitaire reconnu, créateur de l’agence Louis XIV, avant de se tourner vers des activités plus épicuriennes, et notamment de la restauration qualitative ou de la recherche de galion coulé à Zanzibar...
Il restera pour les amoureux des régates tropéziennes comme un fantastique organisateur ayant une idée par minute et un humour débordant. Pour la petite équipe d’organisation de la Nioulargue il insufflait une énergie positive fantastique, qui a fait l’âme de cet événement. Il a même contribué aux esquisses de jauge classique utilisées à l’époque, labellisant l’expression « aller mesurer le J » comme l’esquive permettant d’aller faire une sieste. Il était si drôle que nous avions failli plusieurs fois littéralement mourir de rire, moins drôle est son départ prématuré…
Bent vent Bibi, fameux Commodore et Commandant de « Panica Generale » !
(Photo Gilles Martin-Raget)
Un adieu aussi à notre ami Jean-Michel Leven, fier représentant de la lignée des capitaines de Eugénia V. Jean-Michel a mené sa barque et son bateau avec brio durant des années, en sachant garder un esprit festif et généreux durant les régates et en dehors. Avec Anne son épouse et ses enfants, il s’était reconverti depuis quelques années dans la production de fleurs bretonnes. Une de ses dernières volontés : ni fleur ni couronne, mais un don à la SNSM…
Bon vent Jean-Michel, valeureux Capitaine historique de « Eugénia V » !
Les girelles sont orphelines !!
(Bruno Troublé)
Bertrand Suchet, Bibi pour ceux qui ont connu la Nioulargue de la grande époque, est mort cet été et nous sommes tous, ses amis de toujours, bien malheureux.
L’équipe de la Nioulargue c’était un peu comme l’équipe du Splendid: une bande de copains qui ne pensaient qu’à s’amuser et à amuser les autres 24/7 pendant 8 jours..Je pourrai écrire sur Bibi mais Frédéric Beigbeder, un autre de ses amis, a écrit un texte magnifique – c’est son métier – et il m’a autorisé à le publier :
Avec Bertrand Suchet disparaît une race d’humoriste à part : ceux qui mettent leur talent dans leur vie et se fichent de la postérité. Je n’ai jamais rencontré personne d’aussi drôle, ni dans le milieu du cinéma, ni à la télévision, ni à la radio, ni parmi les écrivains que j’ai côtoyés depuis 40 ans. Il est très difficile d’accepter la mort de Suchet car elle signifie que je rirai moins durant le reste de mon existence. Comment décrire ce qui se passait avec Bertrand ? Il était capable de transformer un dîner à l’auberge de La Mole en reconstitution de la seconde bataille d’El Alamein (23 octobre-2 novembre 1942), avec imitation des panzers, de chaque ordre de tir des boches (« feuer ! »), de rafales des mitrailleuses Spandau et des explosions d’obus, et tout ceci uniquement parce qu’il y avait une tablée de touristes allemands, parfaitement pacifiques, assis plus loin sur la même terrasse. Je ne saurai jamais restituer son art oratoire unique, qui consistait principalement à trouver un angle comique vers 21h, et à l’épuiser dans ses moindres recoins durant les trois heures suivantes. J’ai failli mourir d’hilarité le soir où il a décrit une chasse à courre britannique à l’Ami Louis, avec la meute de chiens, les cors de chasse, les chevaux écumant et le pauvre sanglier poursuivi par un équipage de 90 anglais en vestes de tweed. J’ai vu des anglais le supplier d’arrêter de beugler le son du cor car trop rire leur faisait mal aux boyaux. C’est la seule fois de ma vie que j’ai été témoin d’une chose pareille. Suchet ne blaguait pas, ne sortait pas des « vannes » : il essorait la réalité, la tordait comme un vieux torchon mouillé. Son éloquence prenait le monde comme un os à ronger. Il était oral, dans tous le sens du terme : bon vivant, gros mangeur, gourmand de mots et de foie gras poêlé sur patates chaudes au Bouclard, et sexuellement aussi je suppute qu’il n’était pas hostile à l’oralité. Il n’en restait rien que des convives épuisés et des femmes admiratives, pantelantes de désir, et ce n’était pas gagné d’avance pour ce sosie épais de Peter Lorre à cheveux bouclés. Il ne restera de lui que quelques (excellentes) campagnes de publicité pondues chez Louis XIV et DDB, mais ce travail ne rend absolument pas justice à son génie de l’instant présent. Suchet a dilapidé sa verve, gâché son esprit, et enchanté ceux qui l’ont connu sans encombrer les étagères des bibliothèques, ni les archives de la Cinémathèque, mais tout de même beaucoup celles du Club des Directeurs Artistiques, qu’il présida quelques années. Quand on débute dans la vie comme barman à Saint-Tropez, puis DJ de la Nioulargue au Club 55, il est certain qu’on prend goût à l’hédonisme le plus militant. Une publicité résume la vision du monde de Bertrand Suchet : la campagne pour Malibu (1989). C’est un éloge de l’oisiveté sous les tropiques, un spot philosophique, presque bouddhiste, bien plus profond qu’il n’en a l’air, qui prône la procrastination comme l’art de vivre suprême. Les frères Coen l’ont plagié dans « The big Lebowski » (1998).
Pourtant Bertrand n’était pas paresseux : je l’ai vu travailler avec Voutch chez TBWA en respectant des horaires plus professionnels que les miens. C’est là, au 25 rue du Pont Neuf, que Bertrand m’a surnommé le « crétin mondain superficiel » depuis que je l’avais traité de sosie de Marty Feldman à coiffure de Pierre Richard. Une grave imprudence de ma part, qui m’a valu quelques heures de moqueries et sarcasmes sur le thème des « abrutis snobs parisiens inutiles et incultes ne produisant strictement rien et totalement dénués de tout intérêt, qui ne font rire que des idiotes maigrichonnes et des fins de race drogués et décervelés ». Je précise qu’il n’était jamais méchant. Bertrand ne se moquait pas d’un individu mais des défauts communs à toute l’humanité. Il cherchait la vérité, comme tous les satiristes. Je sais que sa fin de vie fut douloureuse et j’en suis infiniment triste pour cet homme pudique, cet ironiste si généreux et sensible, cet ami désopilant qui ne méritait que respect et gratitude, et que je n’oublierai jamais.
FB
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